« Faire son métier d’inspecteur du
travail, c’est à dire aller titiller le patronat qui ne respecte pas forcément
la réglementation, j’ai senti que ça allait être compliqué. »
Laura
Pfeiffer
Laura
Pfeiffer, l’inspectrice du travail mise en cause par l’entreprise Téfal de
Rumilly en 2013 et condamnée le 4 décembre 2015 à 3.500 euros d’amende avec
sursis, condamnation confirmée en novembre 2016 par la cour d’appel de
Chambéry, passe aujourd'hui 5 septembre devant la cour de cassation.
Rappelons
que l’inspectrice du travail est poursuivie pour recel et violation du secret
professionnel à la suite d’une plainte déposée par l’entreprise Tefal.
L’affaire
commence lorsque en octobre 2013 un salarié, informaticien de l’entreprise,
découvre un compte rendu des ressources humaines le concernant :
« licenciement de M. : aucun motif-coût 12.000 euros : donc lui
fixer des objectifs inatteignables. »
Abasourdi
par cette découverte et approfondissant sa recherche il découvre que
l’entreprise, via le Medef et les services des renseignements généraux de la
préfecture cherchent à se débarrasser de l’inspectrice du travail, gênante à
leurs yeux pour avoir qualifié un accord RTT d’illégal.
Le
salarié communique alors ces documents compromettants à l’inspectrice qui les
transmet elle-même au procureur de la république et qui porte plainte pour
harcèlement moral contre les directeurs de l’administration de la part desquels
elle subit des pressions et des menaces qui mettent en cause sa santé.
Le
conseil national de l’inspection du travail (CNIT) conclut à la réalité des
pressions exercées par l’entreprise Tefal mais cela n’empêchera pas le
procureur de la république de classer sans suite la plainte de l’inspectrice et
de la poursuivre (comme il le dira lui-même se sera « une occasion de
faire le ménage » au sein du corps de l’inspection du travail.)
Le
16 octobre 2015 à Annecy, au moment du procès, plus de 800 personnes sont
venues protester contre cette justice de classe, ce qui n’a pas empêché Laura
Pfeiffer et le lanceur d’alerte qui lui avait communiqué les documents, d’être
condamnés.
Depuis
9 heures, devant la Cour de Cassation (
à l'angle du boulevard du Palais et de la rue rue de Lutèce) de très nombreuses
personnes sont venues soutenir Laura Pfeiffer.
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Laura
Pfeiffer est aussi une militante syndicale, rappelons ci-dessous son
intervention, en mai 2016 aux Glières :
En
tant qu’inspectrice du travail et syndicaliste, je suis fière de prendre la
parole aujourd’hui sur le plateau des Glières.
Cette
prise de parole dans ce lieu symbolique, au regard du combat que je mène depuis
plus de 3 ans et dans le contexte économique, social et politique actuel
m’émeut tout particulièrement.
Ma
présence ici prouve que chacun d’entre nous peut décider d’entrer en
résistance. Nous ne devons pas avoir peur, nous devons être persuadé que nous
ne sommes pas seuls et qu’ils ne sont pas aussi forts que ce qu’ils veulent
nous le faire croire. Je ne suis pas exceptionnellement courageuse mais j’ai
toujours mis un point d’honneur à conserver ma dignité envers et contre tout.
Nous ne sommes pas comme eux. Il faut en être fier et ne pas les laisser nous
persuader du contraire. Ils veulent nous faire croire que nous croyons en une
utopie irréalisable, à cela je leur réponds que nous ne sommes pas dupes. C’est
eux qui ont créé et qui entretiennent un monde impitoyable, un monde sans
morale, sans solidarité, sans fraternité, dans lequel règne la loi du plus fort
et de l’argent. Ce monde nous sommes des millions à le subir et à en avoir
assez. Il est temps de dire stop une bonne fois pour toute. Sans peur, sans
compromis.
Lorsque
j’étais étudiante et que je travaillais au Mac Do, ou comme intérimaire
manutentionnaire, ou comme femme de ménage pour de grandes sociétés de
nettoyage, j’avais déjà conscience, comme beaucoup de travailleurs, d’être
exploitée, malmenée. Je rêvais alors de justice et voulais devenir magistrat.
Le quotidien était pénible et laborieux. Se lever tous les matins pour faire un
métier qui ne nous plait pas, qui nous use physiquement et psychiquement, le
tout sans que ça suffise pour pouvoir vivre décemment, ça n’est pas acceptable
et ça ne sera jamais acceptable ! Petit à petit, mon rêve de justice s’est
alors mué en besoin de justice sociale. J’ai fait alors le choix de devenir
inspectrice du travail. Alors aujourd’hui, plus de 15 ans après mes jobs
étudiants, plus de dix ans après mon entrée à l’inspection du travail, quand je
reçois dans mon bureau des salariés cassés, usés, au bout du rouleau, qui
culpabilisent de ne pas arriver à tenir le coup, qui sont prêts à baisser leur
salaire pour garder leur travail même si leur employeur continue à faire des
bénéfices et que les actionnaires réclament encore et toujours plus de dividendes,
je suis écœurée et très en colère. Force est de constater que notre société est
de plus en plus injuste, inégalitaire et inhumaine. Dernièrement on a vu qu’aux
Etats-Unis des salariés portaient des couches sur ordre de leur employeur afin
d’améliorer la productivité, c’est ça l’esclavage moderne ! Et c’est ce
modèle-là, qui est soi-disant la seule et meilleure solution, qu’ils veulent
nous imposer avec la loi El-Khomri ! Ils nous disent et nous répètent à
longueur de journée, à travers les médias de masse, que c’est normal, que nous
devons être satisfaits de ce que nous avons, que nous devons faire des efforts
au nom de la sacro-sainte croissance. N’oublions pas que ces gens-là vivent
dans l’opulence, que la plupart n’a jamais travaillée en tant que salarié de
leur vie, qu’ils ne pensent qu’à préserver leur statut sans se soucier de nous.
La croissance n’a pour finalité que leur enrichissement personnel. Si ça doit
se faire au détriment de la planète et des générations futures, ils n’en ont
rien à foutre. Et, conformément à toute vraisemblance, car rien ni personne ne
peut espérer croître indéfiniment, si la croissance faibli qu’importe, ils nous
suppriment les acquis sociaux et le peu de richesses que nous avons.
Aujourd’hui,
en tant qu’inspectrice du travail, mon quotidien est donc fait de plans sociaux
sans motif économique, d’accidents du travail sans condamnation des employeurs
qui ont choisi consciemment ou non de sacrifier la santé et la sécurité de leur
salarié sur l’hôtel de la productivité, et cerise sur la gâteau, mon quotidien
c’est maintenant la condamnation du salarié de TEFAL lanceur d’alerte qui s’est
adressé à moi et ma condamnation. Les grandes entreprises toutes puissantes ne
sont quant à elles, même pas poursuivies. L’argent, le pouvoir, le chantage à
l’emploi sont les seuls maîtres à bord. Lors du procès de Luxleaks, le
procureur Luxembourgeois a été clair, la fraude fiscale à l’echelle étatique
n’est pas un problème alors que le fait d’être anticapitaliste est selon lui
tellement inacceptable que ça devient condamnable. Le scandale des Panamas
Papers n’est déjà plus à la une des journaux tandis qu’une personne est
condamnée à de la prison ferme pour avoir volé un paquet de pates et un paquet
de riz pour se nourrir. Les salariés de Goodyear sont condamnés à de la prison
ferme, les salariés syndiqués d’Air France sont poursuivis en justice afin que
la répression et le climat de terreur qu’ils veulent instaurer soient
parfaitement clair. Pour la justice supprimer des milliers d’emplois, briser
des milliers de vie, fomenter un complot contre l’inspectrice du travail que je
suis et m’empêcher d’exercer mon métier n’est pas répréhensible ! Par
contre arracher la chemise d’un DRH, retenir quelques heures un patron dans son
bureau, exercer le métier d’inspectrice du travail, ça c’est aujourd’hui
durement condamné ! Il ne manque plus que l’insertion dans le code pénal
du délit d’anticapitalisme et la boucle sera bouclée.
Pour
arriver à leurs fins, ils ne reculeront devant rien. Ils détruisent tous les
acquis sociaux gagnés de dure lutte, ils instaurent un climat de peur
généralisé et mènent une campagne de répression anti-militants et
anti-syndicalistes sans précédent, ils prolongent une fois de plus l’état
d’urgence, ils instrumentalisent la menace terroriste et s’en servent pour une
fois de plus réprimer leurs opposants, ils continuent leur politique
néo-colonialiste, arment les terroristes, bombardent des civils et une fois que
les populations désœuvrées demandent l’asile, ils les renvoient d’où elles
viennent sans pitié, sans scrupule, ou les parquent dans des camps ce qui nous
rappelle les heures les plus sombres de notre histoire, ou pire les laissent se
noyer dans la Méditerranée. Le temps est donc venu d’entrer en résistance. La
coupe est pleine, la loi EL KHOMRI est la goutte d’eau qui fait déborder le
vase. Stéphane Hessel appelait les gens à s’indigner. On peut dire aujourd’hui
que, depuis maintenant 3 mois, on sent que l’indignation se généralise
enfin ! Pour autant ne nous leurrons pas l’indignation ne suffira pas. La
lutte ne fait que commencer, il faut l’intensifier.
Les
résistants lors de la seconde guerre mondiale luttaient contre l’envahisseur
allemand et l’état français collaborationniste pour retrouver leur liberté.
Nous, nous devons lutter contre un ennemi plus fourbe, plus diffus qui sous
couvert de capitalisme, de libéralisme à éradiqué petit à petit toute
démocratie dans notre pays. N’oublions pas que les résistants lors de la
seconde guerre mondiale étaient minoritaires et qualifiés de terroristes.
Aujourd’hui, ceux qui sont entrés en résistance sont stigmatisés dans les
médias, tantôt qualifiés de radicaux, de casseurs, de « sans
cerveau ». La violence que nous subissons depuis des décennies n’est plus
accpetable et si la réponse pacifique est souhaitable, n’oublions pas que
répondre violemment à un déni permanent de démocratie est légitime. Ne nous
laissons pas intimider, ne nous décourageons pas. Soyons surs de notre
légitimité et de notre capacité à nous insurger contre l’inacceptable.
L’article 35 de la constitution de 1793 affirme que « quand le
gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et
chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable de
devoirs ». Il est donc temps de s’insurger, de reprendre notre liberté,
notre dignité et notre destinée. Nous ne devons plus accepter d’être des pions,
nous ne devons plus accepter d’être manipulés.Pour ma part, je me battrais
jusqu’au bout pour obtenir ma relaxe et pour défendre les missions de
l’inspection du travail. Je suis parfois découragée, j’oscille entre espoir et
désespoir. Exercer le métier d’inspectrice du travail au sein de cette société
est devenu un véritable combat. Le quotidien est difficile, les attaques sont
multiples, fourbes et violentes. Pour autant je ne lâcherais rien et je me
battrais jusqu’au bout. Et j’appelle de mes vœux toutes les personnes qui
veulent que les inégalités cessent de se creuser, qui aspire à une société
juste, égalitaire et véritablement démocratique à se révolter, à cesser de se
culpabiliser. Soyons toutes et tous persuadés que nous valons mieux que ça et
battons-nous ensemble et unis pour y parvenir.
Et
n’oublions pas que, et je finirais par ces mots qui ne sont pas de moi, « Celui
qui résiste peut perdre, celui qui ne résiste pas a déjà perdu ».
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